“ INSERT YOUR LIFE HERE ”




« Parle-moi de ton père. » Hasarda Jake après de longues minutes de silence. Il put sentir le corps de Madeline se crisper, il ne la connaissait décidément pas. La demoiselle le regarda un instant avant de se relever et de passer sa main dans ses longs cheveux blonds peroxydés. Attrapant son sac, elle prit deux cigarettes et son briquet avant de laisser son sac chuter de ses genoux tremblants. Madeline était certes une fille adorable – et également perturbée – mais s’il y avait bien une chose à savoir sur elle, c’était de ne jamais lui parler de son père. Après avoir fait glisser une de ses clopes au dessus de son oreille, elle alluma la seconde et commença à inspirer longuement. Jake ne voyait que son dos, posant une main sur sa hanche, elle se retourna. « Pourquoi ? » Répondit enfin Madeline en murmurant. Se réinstallant sur le lit en position assise, elle regarda devant elle, il y avait une œuvre d’art, l’adolescente commença alors à l’observer tandis qu’elle sentait le regard de Jake sur elle. Il chercha ses mots quelques instants. « Et bien tu sais ce qu’on raconte sur lui et sur… » S’arrêtant un instant, il ne savait pas vraiment s’il fallait le dire ou non. « Sa mort. » Acheva la jeune fille en regardant enfin son interlocuteur, tout en fumant sa winston. « Tout est vrai. On peut parler d’autre chose maintenant ? » Intima la néo-zélandaise à son compagnon. Celui-ci ne prit même pas la peine de regarder le corps en ébullition de Made que déjà il paraissait fort excité à ce qu’elle venait de révéler. « C’est vrai ?! C’est toi qui l’as retrouvé alors ! Les murs de la salle de bain étaient recouverts de sang à ce qu’on raconte. » Oui, c’était vrai et elle s’en rappelait comme de sa dernière cigarette.

Spoiler:

Madeline ne racontait jamais cet épisode de sa vie, elle ne parlait jamais du foyer dans lequel elle avait été ni du fait que son père soit mort par sa faute. Parce qu’elle s’était rendue à l’évidence, son père était mort par sa faute, sa mère avait eu des problèmes à cause de Mad’. Si seulement elle avait pu se taire, si seulement elle n’avait pas été pleurer dans les jupons de sa mère à propos du voisin… Et si… Cet idiot de Jake la ramena finalement à la réalité, elle tira sur sa cigarette tout en lui jetant un regard noir. « Mmh... C’est vrai. » Répondit-elle finalement. Le garçon afficha bien vite un sourire marquant son excitation. « Waouuh ! » Lâcha-t-il bêtement. « J’entends pas ta mère rentrer là ? Au fait, elle a toujours son problème d’alcool ? C’est moche… Comme elle d’ailleurs. » Et sur ce, l'adolescente se leva, la clope au bec et se rhabilla avant de partir de chez son ex-petit-copain.



15 Septembre 2002 ; Wellington, NZ

« J’ai dis non ! Tu m’entends ? Je refuse que tu y ailles. Jamais. » ; « J’y vais demain. » ; « Vraiment ? C’est ce qu’on va voir ! Je t’interdis de t’y inscrire. » ; « T’as pas le droit. » ; « Tu… COMMENT CA J’AI PAS LE DROIT ? Je te dis non, c’est non. Fin de la discussion. » ; « Je m’en fiche de ton avis. » ; « TU T’EN FICHES ? » ; « C’est bon, calmes toi. » ; « Me dis pas de me calmer. JE SUIS CALME. » ; « Ca se voit. » ; « … Madeline tu vas me faire le plaisir de m’écouter pour une fois d’accord ? Tu crois encore en ce pays ? Après ce qu’ils ont fait à ton père ? Après ce qu’ils nous ont fait ? Jamais je n’accepterais que tu donnes ta vie pour ce putain de pays ! » La mère de Madeline ne s’était jamais remis de cette histoire. Il faut dire qu’elle avait passé plus de six mois en prison, forcément, elle en était marquée à vie. Mais l’adolescente savait maintenant ce qu’elle voulait faire comme métier, la craie dans une main, le parchemin dans l’autre, elle comptait à présent tracer son propre avenir. Finit, ceux et celles qui décideraient pour elle. Non, Madeline ne finirait pas comme ce qu’on lui avait conseillé, voir ordonné, de faire. Certainement pas. L’armée. Voilà où elle comptait s’engager demain, pour ses dix-sept ans et demi et personne ne pourrait l’en empêcher, elle avait bosser trop dur pour ça, elle s’entrainait tous les jours pour être en forme, elle avait le mental nécessaire et bon dieu elle voulait enfin faire quelque chose de bien dans sa vie. Trainer avec ses potes, sortir la nuit, elle n’en voulait plus, elle n’en avait jamais vraiment voulut. Elle deviendrait celle qu’elle voudrait, point final. Après cette discussion avec sa mère, la demoiselle fut privée de sortie, mais sa mère savait bien que cela n’empêcherait pas à sa fille de se présenter le lendemain. Elles se retrouvèrent pour un diner silencieux. Au moment du dessert, Madeline prit finalement la parole. « Je le fais pour moi, pour personne d’autre. » ; « Qu’est-ce que ça va t’apporter Mady ? » ; « De la liberté. » ; « Tu ne seras pas libre ! Des ordres, voilà ce que tu auras. Et puis ce n’est pas un métier pour les femmes. » ; « C’est un métier, c’est tout. » ; « On te traitera comme un chien ! Madeline, réfléchis bon dieu ! » ; « C’est tout réfléchis. » ; « Si tu réfléchissais deux secondes, tu verrais que c’est une mauvaise orientation. » ; « Vraiment ? Alors dis-moi maman, quel métier est fait pour moi ? » ; « D’autres ! Infirmière, coiffeuse, secrétaire, bibliothécaire… » ; « Quel avenir ! » .


08 mars 2003 ; Base Militaire ; Route du désert, NZ

« Arrête de pleurer putain ! C’est bon c’est rien. » ; « J’ai mal ! » ; « Comme tout le monde. Arrête de te plaindre, on dirait une fillette. » ; « Va te faire foutre. » Ragea Madeline contre Lewis, soldat, comme elle. En effet, même si le but de Madeline était de devenir pilote d’avion, elle devait, en plus des épreuves standards dans cette formation de pilote, devenir soldat et avoir de grandes compétences physiques et sportives, savoir maitriser l’arme, bref un bon petit soldat. Depuis plus de cinq mois la demoiselle agissait en soldat et ce n’était pas évident. Mais il ne lui restait plus que quelques jours avant de quitter le côté soldat pour enfin s’attaquer aux études de pilotage, enfin, si elle réussissait l’épreuve qui était éliminatoire. Lorsqu’elle était arrivée dans cette base, elle avait découvert pour la première fois un milieu hostile, il faut dire que sur deux cents soldats, il n’y avait que six filles. Certains garçons se comportaient bien avec elles mais d’autres avaient des comportements tout à fait affligeant. Sa mère l’avait pourtant prévenu. Lewis était de cette minorité qui parlait à Madeline comme à un soldat, qu’importe son sexe, du moins il agissait de la sorte pendant les exercices imposés. « Kyrene, plus vite ! T’aurais du rester au camp nous préparer à bouffer. » ; « La ferme. » Se relevant finalement, elle regarda avec haine le soldat Kellan Donovan avant de mettre sur ses épaules son sac kaki. Elle reprit ensuite la marche, en effet, leur supérieur avait fait plusieurs équipes de sept, ils avaient un parcours à faire en six jours et ils ne devaient pas trainer. Cela faisait déjà cinq jours et demi que l’équipe de Madeline marchait sans relâche et ses chaussures lui faisaient atrocement mal, sans parler de son dos. Mais elle continuerait, elle se battrait pour avoir l’avenir qu’elle mérite. Au coucher du soleil, les coéquipiers de la demoiselle décidèrent de s’arrêter pour la nuit. Tout était calme dans ce désert où rien ne poussait. Personne ne tarda bien longtemps, le lendemain serait une éprouvante journée. Et celle-ci arriva bien plus vite que ce que la jeune femme aurait imaginée. A peine eut-elle fermée les yeux qu’elle du se réveiller pour se préparer à reprendre la route. « Alors les gars, plus que sept heures de marche et on se sépare. » ; « Putain, j’en rêve la nuit. » ; « Et moi donc ! » ; « Pensez à la permission qu’on va avoir après ça. » ; « Trois jours c’est rien. » ; « Mais quelle mégère celle-là. » ; « Kellan, je sais que je vais te manquer de toute manière. » ; « C’est surtout ton cul qui va me manquer, ouais. » Et cet idiot se mit à rire suivit par les deux autres, en fait, cela faisait rire tout le monde excepté Lewis et elle. Ils continuèrent la route en parlant de ce qu’ils allaient faire de ces trois jours de repos, mais tous savait une chose, sur les deux cents du départ, il ne devrait en rester que cinquante divisé en deux groupes : trente futurs pilotes de chasse et vingt futurs pilotes de transports. La compétition ne faisait que commencer et ce, pendant encore trois ans.




« Allez Chester, on rentre. » ; « C’est peut-être la dernière fois, autant en profiter. » ; « Nostalgique ? » ; « Et pas qu’un peu. » C’était en effet la fin. Ils auraient leur résultat dans quatre heures et s’ils n’étaient pas pris, ils retourneraient au mieux sur le sol en tant que soldat, au pire, à la vie civile. Pour les résultats, la famille et les amis étaient les bienvenus. Les élèves devaient donc s’habiller correctement et faire les saluts devenus usuels. Il était temps de se préparer et pourtant Madeline doutait de tout. A commencer par savoir si sa mère allait venir ou pas. Parce qu’elle n’avait plus qu’elle, Madeline comptait sur son soutien même si depuis qu’elle était entrée à l’armée de l’air, la relation mère-fille était plus que tendue. Elles n’avaient qu’elles l’une de l’autre et c’est pour cela que la demoiselle ne se remettrait surement pas de l’absence de sa mère dans un moment comme celui-là. « Kyrene, Donovan, retour à la base dans huit minutes maximum. » ; « Reçu. » Lancèrent-ils en même temps à leur casque.

« […] Cette promotion s’achève ainsi sur cette soirée où chacun de vous prendra congé auprès de vos proches. Mais avant tout, je dirais les noms de nos élèves officiers ayant réussis leur examen. Ces personnes auront à présent le grade d’officier et comme vous le savez, chère famille, ils seront pilotes. Et voici nos nouveaux officiers : Aaretson, Amira,[…], Daniels, Donovan,[…], Johansson, Kyrene,[…] Félicitations à nos vingt nouveaux pilotes de chasse et de transport. Bonne soirée à tous. » Madeline venait de réussir. Etait-ce possible ? Vraiment ? Elle qui au départ se plaignait pour pas grand-chose était maintenant officier. Dès le lendemain, ils seront envoyés au quatre coin du monde mais pour l’instant, il fallait fêter ça. Observant la foule, elle ne trouvait pas sa mère. Non, elle était forcément venue. Finalement, alors qu’elle regardait vers la droite, une main se posa sur son épaule gauche. Tournant la tête, elle put voir un visage familier. Sa tante, la sœur de son père était présente. La serrant dans ses bras, elle vit également sa grand-mère, son oncle et deux de ses cousins. En somme, sa famille paternelle. « Félicitations ma chérie. » ; « Merci. » Répondit simplement la nouvelle officier à sa famille tout en les serrant dans ses bras. « Ta mère n’est pas là ? » ; « Je pensais qu’elle serait avec vous. Enfin tant pis, je l’appellerais quand même demain matin pour lui dire. » Sa tante paraissait soucieuse mais elle ne fit aucune remarque, se contentant de regarder son mari. Ce dernier haussa les épaules avant de dire : « Alors ma belle, ça fait quoi de voler ? » Attristée, Madeline ne perdit pas pied et se contenta de profiter de l’instant présent. Elle avait vingt-et-un ans et elle était pilote. Le rêve.

« Watching every motion in my foolish lover's game… On this endless ocean finally lovers know no shame… Turning and returning to some secret place inside… Watching in slow motion as you turn around and say… Take my breath away… » Il faisait maintenant nuit et le diner de « fin d’étude » n’était toujours pas terminé. Il faut dire que les élèves officiers n’avaient pas revu leurs proches depuis plus d’un mois. Sans parler du stress qui avait à présent disparu, les jeunes pouvaient à présent rire de bon cœur. Et pourtant, Madeline était à l’écart de toute cette ambiance, elle était dehors, en compagnie de l’officier Donovan. Chose étrange, comment passer de la haine à… autre chose en trois ans ? Ils en étaient le parfait exemple. Alors que tout prédestinait Madeline a formé un couple avec Lewis, ce dernier n’avait pas supporté la vie militaire et s’était retiré au bout d’un an et demi. Sur les six coéquipiers qu’on lui avait attribués, seuls Madeline et Kellan avaient réussis. Ce qui, en définitive, était une très belle moyenne de groupe. Toujours est-il que les deux jeunes se trouvaient l’un contre l’autre à danser paisiblement sur les gravillons qui les avaient vus temps souffrir. Certes, il n’y avait pas de musique mais Kellan s’était mis à chanter une chanson que Madeline reconnut immédiatement. C’était la chanson de la BO de Top Gun, film que tout officier pilote connaissait par cœur. C’était d’un cliché qui en aurait fait vomir plus d’un mais à ce moment, Mady avait tout sauf envie de vomir. Alors que l’homme continuait de murmurer les paroles de la chanson, leurs deux visages se rapprochaient lentement, finalement, Madeline du fermer les yeux et savourer le moment présent. Moment qui n’arriva jamais. Une chose est certaine, on ne contrôle pas si facilement son destin.

« MAAA…MADELINE !! » Sursautant à s’en rompre le cœur, Madeline reconnut immédiatement cette voix. Kellan s’arrêta net de chantonner et de danser, tout se figea dans ce cri de panique. Combien de temps resta-t-elle sans réaction ? Elle ne saurait le dire, toujours est-il que le cri de sa tante n’annonçait rien de bon. Pire, Madeline avait le pressentiment qu’elle ne retrouverait plus jamais un moment pareil. Sa tante la regarda un instant, son oncle la précéda et c’est lui qui reprit la parole, sa femme en étant incapable. « Viens avec moi ma chérie. » Passant des bras musclés de Kellan à ceux rassurants de son oncle, Madeline ne pensait plus à rien. Elle glissa machinalement un « On s’appelle » à Kellan avant que les deux membres de la famille ne s’éloignent de lui. Elle regarda, interdite, son oncle qui reprit enfin la parole. « Tu sais Madeline, ta mère comptait venir pour cette soirée, c’est elle qui nous a invité il y a deux semaines de cela, on… On n’a pas compris pourquoi elle n’était pas là ce soir. » Sa mère, c’était ça qui clochait. Au lieu de rester passive à écouter son oncle, Madeline se défit de l’emprise de ce dernier et commença à regarder autour d’elle. « Attends, attends. Je vais l’appeler et c’est pas grave si elle n’est pas là. Je vais l’appeler et c’est pas grave. C’est pas grave, hein ? » Madeline se mit alors à courir vers le couloir où des affaires étaient entassés, dont les siennes. Prenant son téléphone portable, elle composa avec vitesse le numéro de sa mère. « Mady, je t’en pris. » Sa tante la regardait écouter la boite vocale de sa mère. « Comme j’étais inquiète, j’ai appelé et puis comme il n’y avait pas de réponse j’ai appelé les hôpitaux, tu sais au cas où. » ; « Elle va bien ? » ; « Madeline… » ; « Emmène moi à l’hôpital. » ; « Madeline, écoute moi. » ; « Je t’écouterais en chemin. » ; « Elle est… Elle est... C'est finit.. » ; « Non. » ; « Elle était près de la rivière, tu sais Makara River. » ; « Non. » ; « On m’a dit que ce ne serait pas une noyade, Mady. ».



Lorsque Madeline a réalisé que sa mère était morte, elle a voulu tout arrêter. Heureusement, son oncle et sa tante ont aidé la demoiselle à reprendre pied et à la convaincre de rester pilote dans l’armée de l’air néo-zélandaise. La police a dit à Madeline qu’il s’agissait d’un meurtre particulièrement atroce puisque le cœur de la défunte avait été brisé, au sens propre. La jeune femme de vingt-et-un ans à l’époque a donc reprit son travail. Pendant près de deux ans elle était en mission en Afrique, plus rien ne comptait à part son travail. Elle vivait pour son job et se voyait mourir pour son pays qui ne la méritait décidément pas. Le meurtrier de sa mère n’a pas été retrouvé, cependant, après enquête, il a été conclut que ce fut le fiancé de sa mère qui était l’assassin. Fiancé dont l’identité fut fausse. Madeline fit le deuil de sa mère pendant près de trois ans, continuant avec acharnement son métier tant rêvé. Après l’Afrique, elle fut envoyée en Asie Occidentale pendant un peu plus d’un an et demi. Après diverses missions, elle a le droit de retourner à la vie civile pour un temps. Profitant de cette longue permission, Madeline achète une nouvelle maison et se retrouve rapidement seule. Il y a bien sa famille qui lui rend parfois visite et elle passe quelques soirées à sortir mais après ces quatre années autour du monde, Wellington a bien changé. Surtout que récemment, on reparle de la Makara River, lieu qui a vu sa mère mourir. Cependant, bornée comme elle est, Madeline ne ferait jamais le rapprochement entre sa mère et les meurtres qui se produisent. Se dire que sa maman ne fut que l’une des victimes parmi tant d’autres ne la réjouit pas du tout. Alors non, le meurtre de sa mère doit forcément être différent de ce qu’il se passe trois ans et demi plus tard. Sa mère ne serait pas morte pour rien, tout de même.

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THE END