PV; Jezabel CROSSINGTON

5 heures du matin – L'heure des désastres culinaires

Farine, oeufs, sucre, levure, oignons, chocolat et steak haché. Tant de choses délicieuses que la jeune femme ne se privait pas de mélanger pour cuisiner. Elle s'était réveillée tôt ce matin-là avec une brusque envie de cuisiner. Elle s'était dirigée vers le lieu de toutes ses créations, presque hypnotisée, attrapa un bol et commença la confection d'un gâteau au chocolat. Et là c'est le drame. Maëlle avait une conception particulière de la cuisine. Elle partait du principe que si deux choses étaient bonnes séparément, elles ne pouvaient qu'être délicieuses une fois ajoutée ensemble. Elle touillait gaiement sa mixture où l'on apercevait déjà des coquilles d'œuf - elle ne se rappelait jamais s'il fallait les laisser pour donner un peu de croquant ou s'il fallait les retirer – et autres ingrédients à la couleur étrange. Mais quelque chose la titillait. Pouvait-on remplacer le sucre par du sel ? Sa question était très sérieuse. Après tout, qu'elle différence y avait-il entre le sucre et le sel à part le goût ? Même couleur, à peu de chose près la même consistance, ça ne devrait pas changer grand chose à sa préparation, si ? >< Oh et puis elle était toujours prête à essayer de nouvelles expériences ! Le pire peut-être dans tout ça était qu'elle adorait partager ses expériences avec les autres et apportait généralement toutes ses créations à sa boutique. Les personnes qui ne la connaissaient pas se risquaient parfois à y goûter, mais ils n'y revenaient pas deux fois. Si elle ne carbonisait pas son plat, il n'était pas assez cuit, et même s'il l'avait été assez, il serait quand même infâme. Certains voyaient là la raison de la minceur de la jeune fille mais au plus grand étonnement, elle adorait sa cuisine. Mmh oui c'est étrange mais Maëlle l'est aussi.
Quelques heures plus tard, elle portait fièrement son gâteau en se rendant à sa boutique. Aah que de belles histoires lui étaient arrivées dans cet endroit ! Elle s'était cassée sa première dent dans cette boutique après être tombée tête première dans un grand pot de fleur, elle s'était piquée tellement de fois les mains avec les épines qu'elle aurait sûrement pu apparaître dans le guiness des records, tant de beaux souvenirs ! Heureusement qu'elle était douée pour faire les bouquets et s'occuper des plantes... Longtemps elle avait cherché sa voie et prendre soin des fleurs lui apparut comme une révélation. Et oui Super Maëlle avait trouvé un travail.
A peine avait-elle ouvert sa boutique que les grelots qu'elle avait attaché à la porte retentir. Jezabel. Maëlle lui offrit le plus beau de ses sourires en ayant pas conscience du fait qu'elle avait encore de la farine plein le visage. Pas sa faute si elle avait à peine eu le temps de se regarder dans la glace avant de partir, le gâteau avait mis du temps à cuire. Elle voulait être sûre qu'il prenne une jolie teinte noire.

« Tu vas me goûter ce gâteau et tu m'en diras des nouvelles, s'exclama-t-elle. »

Elle était tellement persuadée d'être douée que ça faisait presque pitié de la voir présenter ses gâteaux à tout le monde avec l'espoir qu'ils y gouteraient avec plaisir.

Il était tôt et je n'arrivais pas à dormir. Comme si la peur me prenait les tripes et m'empêchait de fermer l'œil. J'avais un peu dormi, quand même. Un peu. Et puis j'étais sortie, de nuit, à quatre heures du matin, en jogging et en gros manteau. J'avais marché dehors, dans l'air froid de la nuit encore sombre. Puis j'avais fini par revenir à l'appartement que je partageais avec Steven. Une grande tasse de thé à la menthe, brûlante, avait été vidée dans mon gosier, au risque de me carboniser la gorge immédiatement. Mais ça m'avait fait du bien. Surtout la cuillère de miel après. J'aimais bien le miel. Je n'en prenais pas souvent, parce qu'à la longue ça devenait écœurant, mais j'aimais bien ça. Regardant l'heure qui s'affichait à l'horloge de la cuisine, je comprenais qu'il était beaucoup trop tôt pour que les magasins soient ouverts et je m'affalais sur le canapé, en tailleur, une couverture sur mes jambes. J'aurais pu aussi aller réveiller Steven d'une façon plutôt agréable. Mais j'étais trop bien dans le canapé pour me relever et marcher sur le carrelage froid de la grande pièce. Alors je tendais le bras vers l'accoudoir à gauche, récupérai la télécommande et j'allumais la télévision sur une chaîne aléatoire, prenant le risque de zapper plusieurs fois. À cette heure-ci, il y avait un nombre incalculable d'émissions de Télé-Achat, un truc qui me faisait bien rire mais dont je me lassais très vite, trop vite. Je finis par prendre le journal de la veille et me mis à lire les nouvelles qui dataient donc d'hier, découvrant que Mrs Cunnigham avait retrouvé son caniche rose. Bon, personne n'en avait rien à faire, mais elle avait cru que c'était les tueurs de Wellington qui avaient enlevé son caniche. Une publicité pour une boutique de fleuriste me fit penser à une des rares boutiques à être ouverte plutôt tôt : celle de Maëlle. Aussi, après avoir griffonné un mot informant mon jumeau d'où je serai pour les deux heures à venir, je quittai l'appartement sans oublier mes clés, et je me dirigeai au pas de charge vers Queen Street.
La sonnette tinta lorsque j'ouvris la porte de la boutique de mon amie -une de mes premières amies de Wellington, d'ailleurs- et tinta de nouveau lorsque la porte se ferma derrière moi. Un coup d'œil en haut, c'étaient les grelots habituels. Maëlle à son comptoir se tourna vers moi avec un sourire magnifique et heureux. Bon, elle avait de la farine sur le visage et… Oh, danger. Elle avait cuisiné.

Pas que je n'aime pas les expériences culinaires de Maëlle. Des fois c'est bon. Des fois, seulement. M'approchant doucement du comptoir, les mains dans les poches de mon jean, j'observais d'un air dubitatif le gâteau qu'elle me tendait. Noir charbon sur le dessus. Comme d'habitude, vous me direz. Ou des fois, c'était mou et quasiment liquide. M'accoudant au comptoir, j'affichais quand même une mine ravie. C'est qu'elle était adorable, Maëlle, et que je m'en serais voulue atrocement si je l'avais blessée. Alors oui, j'acceptais de tester ses essais parce que je lui faisais en quelque sorte confiance. Normal quoi.

Apporte-moi une assiette, un couteau et une cuiller et je m'attelle à la tâche de goûteuse professionnelle. Tu crois que je devrais en faire mon métier ?